Déserts médicaux : l'ordonnance du Dr Vallancien, par le Dr Plédran membre de MG France (adhérent à la CNPL).

Ce qui est rare est cher. Un cheval bon marché est rare. Donc, un cheval bon marché est cher. Voilà la manière, certes un peu lapidaire, qui résume la pensée du Pr. Vallancien. Dans une récente lettre ouverte adressée aux parlementaires, ce dernier propose de supprimer les déserts médicaux « en moins de deux ans ». Nous avons des génies dans notre pays et nous n’exploitons pas leurs compétences. Quel gâchis !

Ce qu’il y a d’ennuyeux dans la démonstration du cher professeur, c’est qu’il part de données apparemment vraies, mais qu’il les élague et les tronque pour n’en garder que ce qui peut aller dans le sens de sa démonstration. Que nous propose-t-il pour transformer les déserts en jardins luxuriants ? La télémédecine, l’utilisation d’infirmier(e)s et d’hélicoptères. C’est limpide et d’une telle simplicité qu’on se demande pourquoi personne n’y avait pensé avant !
Commençons par les infirmier(e)s. J’ai le plus grand respect pour celles et ceux qui font ce métier. Je travaille avec eux au quotidien et leur aide m’est non seulement précieuse, mais indispensable. Cependant, autant je serais incapable, tout au moins maladroit pour accomplir la plupart de leurs tâches, autant mon métier n’est pas le leur et leur métier n’est pas le mien. Je suis dans le diagnostic et le suivi des pathologies quand ils ou elles sont dans le soin. Certes, nous avons des points communs, comme l’écoute attentive, élément essentiel de la prise en charge des patients. Mais, Monsieur le Professeur, quel mépris pouvez-vous avoir pour des confrères, quelle méconnaissance de leur activité au quotidien, de leur polyvalence, de leur engagement pour raisonner comme vous le faites ? Vous ne connaissez rien à la médecine générale, comme moi je ne sais pas grand chose de la chirurgie urologique. Mais j’ai au moins la décence de me taire et de ne pas commenter la manière dont vous opérez les prostates.
La télémédecine est aussi selon vous l’outil qui va nous sauver. Mais nous sauver de quoi, monsieur le Professeur ? C’est quoi la télémédecine et c’est quoi la médecine générale ? Dans nos cabinets, à domicile, nous rencontrons des gens. Des gens normaux, des gens malades ; on se dit bonjour, on se parle, on examine les patients, on sonde leur âme aussi, bien souvent. On reformule leurs symptômes, on calme leurs angoisses. Expliquez-moi par quoi vous allez remplacer tout cela ? Par de la fibre optique et du haut débit ?
Je finis mon inventaire par le plus grotesque, le plus rigolo. Dégagez la piste, voilà l’hélico ! Votre vision du premier recours se limite à la désincarcération de patients coincés dans leur voiture et qu’il faut orienter le plus vite possible vers l’hôpital le plus adapté. Et pour cela, il faudrait mutualiser les hélicoptères. Je suis entièrement d’accord avec vous. Sauf que le premier recours ce n’est pas ça. Ce n’est pas seulement cela. Le premier recours en santé, ce sont les millions d’actes faits chaque jour par les pharmaciens, les infirmières, les médecins généralistes ; pour ne citer que ces professionnels. Votre proposition me rappelle cette demande d’un directeur de prison à un directeur d’hôpital psychiatrique pour que ce dernier lui prenne un pensionnaire : « Il n’est pas complètement fou ton bonhomme, il est complètement con. Pour que je le prenne, il faudrait construire un asile de cons. Tu imagines la taille ? ». Si l’on devait vous suivre dans votre raisonnement, il en faudrait des escadrilles d’hélicoptères !
Enfin, je ne prends que comme une maladresse votre description quasi méprisante du jeune médecin qui s’installe. Maître de stage, je rencontre quelques uns de ces jeunes médecins, de ces jeunes femmes, souvent plein d’enthousiasme. Plein d’enthousiasme pour faire leur métier. Pas pour devenir esclaves des administrations et de la paperasse.
Car il y a un aspect que vous passez sous silence, Monsieur le Professeur. Quel est aujourd’hui, dans notre pays, le niveau de rémunération des médecins généralistes ? Il est de la moitié en moyenne de ceux des autres spécialistes ! Avant d’acheter des hélicoptères, suggérez de mettre cette rémunération à un niveau qui permettrait aux professionnels de haut niveau que sont les médecins généralistes de travailler dans des conditions décentes. Tout d’abord avec un secrétariat. Ce qui n’est pas possible aujourd’hui pour la plupart d’entre nous.
Au final, merci Monsieur Vallancien de secouer, par votre courrier, le cocotier de nos politiciens ; en leur disant, bien naïvement que des solutions existent. Solutions bien différentes des vôtres quand elles sont proposées par des médecins confrontés aux problèmes de terrain. Mais pour que ces solutions soient mises en œuvre, il faudrait qu’il y ait quelques hommes politiques avisés dans ce pays. Et de ce côté-là, j’ai tendance à penser que le dernier n’est plus de ce monde depuis bien longtemps.

 

Source : www.mgfrance.org – Article de Bernard Plédran
Photo : Bernard PLEDRAN – Médecin Généraliste membre de MG France, représentant les profession libérales au CESER Aquitaine.